De nombreuses marques comprennent un terme ou un logo qui se rapporte à un lieu géographique. En Suisse, certaines demandes d’enregistrement à titre de marque n’aboutissent pas en raison de règles d’examen strictes, par application des articles 2 let a et 2 let c de la Loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM). Toutefois, ces règles se sont un peu assouplies ces dernières années.
Lors de l’examen, il faut en premier lieu déterminer si le signe peut être considéré comme une indication de provenance. Dans l’affirmative, il ne doit pas induire les consommateurs en erreur sur la provenance des produits ou des services. Cela s’applique également à l’utilisation du signe en vertu de l’article 47 LPM.
Une distinction est faite selon que le nom géographique renvoie directement ou indirectement à l’origine des produits et services. Les indications de provenance directes sont les noms exacts de lieux (par exemple, Suisse, Alaska ou New York). Elles appartiennent au domaine public et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un monopole d’exploitation. En revanche, les indications de provenance indirectes sont des signes verbaux ou figuratifs qui évoquent un lieu sans le nommer (par exemple, Louxor, Oncle Sam ou la Statue de la Liberté). Dans cette hypothèse, le critère de la distinctivité est rempli.
S’il est jugé distinctif, le signe qui contient une indication de provenance peut être enregistré à la condition que les produits soient limités à ceux provenant du pays concerné. A défaut, il est inutile d’obtenir des droits de marque pour de tels signes, car leur utilisation peut exposer le propriétaire de la marque à des poursuites civiles et pénales. Pour éviter cela, le demandeur doit démontrer que le nom géographique ne fonctionne pas comme une indication de provenance.
Les signes sont soumis à la règle dite de l’expérience développée par le Tribunal fédéral¹. Selon cette règle, un nom géographique est présumé indiquer le lieu d’origine. Il est donc considéré comme une indication de provenance sauf s’il répond à l’une des exceptions suivantes² :
• le nom a une autre signification qui prévaut dans le langage courant (par exemple, PHOENIX ou CHILI),
• le nom n’est pas connu du public concerné. Pour les noms étrangers, il est tenu compte des capitales, de la taille de la population et des liaisons aériennes existantes depuis la Suisse,
• le nom a un sens symbolique clairement reconnaissable en référence aux caractéristiques essentielles des produits ou services autres que celles géographiques de ces derniers (par exemple, MAGIC AFRICA pour des produits cosmétiques, et COPACABANA pour des produits pour piscines),
• le lieu géographique ne peut pas être celui d’origine des produits ou services (par exemple, SAHARA pour du papier et carton ou MATTERHORN pour des bananes),
• le nom apparaît comme une désignation de modèle car il est accompagné du nom d’une entreprise ou d’une marque connue (par exemple, TAG HEUER MONZA),
• le nom est devenu générique (par exemple, EAU DE COLOGNE),
• L’ajout d’un mot ou d’un élément figuratif permet de donner une autre signification prévalente au signe pris dans son ensemble (par exemple, INDIAN MOTORCYCLE pour des vêtements), ou
• le signe a acquis une signification propre en raison de son usage, ce qui doit être démontré et est en pratique difficile à établir.
Les noms étrangers qui sont protégés en vertu de traités internationaux et de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce sont exclus de la protection à titre de marque.
La règle d’expérience diffère de l’approche plus flexible de l’Union européenne. Cela dit, l’approche suisse commence à s’assouplir comme l’illustre la décision B-5789/2016 du Tribunal administratif fédéral rendue le 15 novembre 2018. Dans cette affaire, le signe INSMED s’est vu accorder la protection à titre de marque pour des préparations pharmaceutiques pour le traitement des maladies respiratoires. Le terme « INS » fait référence au gène humain qui produit de l’insuline. Mais « Ins » est également le nom d’une ville suisse de 3500 habitants. L’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (ci-après « l’Institut ») a estimé que le signe constitue une indication de provenance puisque ce lieu est connu du public suisse. Les juges retiennent également cette définition mais soulignent que le nom doit être examiné en rapport avec les produits et services désignés afin de ne pas étendre la présomption plus que nécessaire. De l’avis du tribunal, les produits s’adressent à des experts médicaux qui percevront « INS » dans son sens premier.
Une tendance similaire est constatée dans la pratique récente de l’Institut, reflétée dans la dernière révision des ses directives en matière de marques. Ainsi, la réputation du lieu n’est plus un obstacle à l’exception à la règle d’expérience³. De même, un lieu de plus de 3000 habitants n’est plus présumé être connu de facto.
Cette nouvelle pratique est une bonne nouvelle pour les propriétaires de marques. Si les critères d’examen demeurent sévères, certaines décisions sont prises en fonction des circonstances du cas d’espèce, ce qui offre de meilleures chances d’obtention de droits de marque sur des signes géographiques.
Nathalie Denel,
Juriste en propriété intellectuelle
27 février 2020 ¹Arrêts du Tribunal fédéral 4A-6/2013 WILSON et 4A-357/2015 INDIAN MOTORCYCLE
²Arrêt du Tribunal fédéral administratif 128 III 454 YUKON
³Arrêt du Tribunal fédéral B-1428/2016 DEUTSCHER FUSSBALL-BUND